Poésie : Le petit monde où je m'inscris

Impressions


Face de nuit, face de jour, argentées de mistral

les feuilles des ormes toupillent cette fin octobre

comme se succèdent les ridules au fil de l’eau,

disparaissent et renaissent en des directions folles

devant le promeneur suspendu à ce plomb du temps,

quand le matin estompe sa marche parmi des saules.

Les autres frondaisons ont aussi commencé, déjà,

le passage des verts à l’ocreux précédant leur chute,

pour bientôt ; le chemin n’en est pas encore jonché

mais se tache, ici ou là, des couleurs de l’automne.

Observer, qui n’est pas neutre, nous inscrit en tout ça.

En couvrant les troncs morts allégés par les ans, le lierre

prolonge l’image non mensongère d’une vie

semblant passer le gué des saisons sans grand dommage.

Je me sens souvent part intégrante de sa feuillée,

admirant la beauté résignée de toute faiblesse

sans ignorer jamais que le pire reste à venir.

 

A un ver de terre gourd sur le bitume gelé

Enfant de la glaise aussi, au même titre que nous
affligés de glisser vers la poussière à notre rythme,
il me fascine de te voir hors de la protection,
à la merci de ce froid sans charité, qui te fige.
Je comprends que là-dessous n’était pas le paradis 
alors qu’à mon idée y réside bien tout ton monde.

De la glèbe tu ignores moins que moi les arcanes
mais c’est au-dessus que la folie fait plus de dégâts,
ce dont la reptation à aucun égard ne t’éclaire ;
vers le sous-sol je t’exhorte à tenter de repartir,
sachant ta valeur ne serait-ce que pour nos récoltes,
déterminante ici-bas pour l’ensemble du Vivant.

Point ne protègent les épaisseurs de mille natures,
de terre, de feuilles, d’humus, de terreau ou de bois,
fou de sous-estimer que cette route est meurtrière ;
mais de là à t’étirer entier, toute chair dehors,
exposant aux voitures et aux oiseaux ta faiblesse
comme si le rêve de survivre t’importait peu…

Ressaisis-toi au plus vite. Je t’enfouis dans l’herbe,
espérant te donner une chance de te sauver ;
je sais qu’un temps lointain exista où nous étions proches,
qu’après ce seuil premier nos routes se sont éloignées.
Aujourd’hui de belle manière nous sommes ensemble
dans le vœu de vivre, planétairement partagé.

 

A la houe

Outil, objet, instrument, mais au fond rien de tout ça,

cogne dur à ma place l’existence rocailleuse,

communique-moi ton indifférence à la douleur

afin d’ assurer pour la joie de tous  la régalade

aux jours -loin encore- de la récolte. Pour l’instant,

avec pour seule aide l’épuisement de mes vertèbres

(qui contraignent si souvent à changer de position)

et mes mains d’aujourd’hui plus endolories que naguère,

amende-moi cette terre qui résiste à nos coups,

remue le visible, contente-toi de sa surface,

déracine et retourne pour sillonner, ameublir,

affaire-toi au lit paradoxal de la semence.

Il en faut de la confiance dans la tâche choisie

sous ce gril qui incline à favoriser l’indolence,
 
pour qu’ensemble nous soyons à nous faire cagnarder,

jusqu’à en perdre toute sensation de démesure

tels des plongeurs saisis par le vertige des grands fonds,
 
comme si l’or de légumes futurs valait nos vies.

 

Assolement

Il n’est guère de jardin qui d’abord ne soit secret
longtemps avant de prendre forme dans la terre meuble,
par longues cannes provençales, croisées et liées,
plantées sur une terre travaillée, jamais croûteuse,
nouées comme des tipis d’Indiens nord-américains.

Dans la phase toujours subreptice où on les prépare,
verger, potager, deviennent remparts anti laideur ;
leurs plants scrutent l’horizon comme d’un chemin de ronde
vers l’environnement des menaces non figurées
alors que se poursuit silencieusement la croissance.

A l’inverse le danger ne renonce pas non plus,
opposant à l’endroit et lui demeurant limitrophe,
voisinage si proche dans l’espace et dans le temps,
en fonction duquel il faudra endosser les récoltes
indépendamment de la projection du  jardinier.

Lieu suspendu, à cet égard analogue au poème
avec sa syntaxe et ce qu’il recèle d’impulsion,
de travail, choix par défaut d’un élément ou d’un autre,
circonscrit dans un cadre et libre d’accéder au ciel,
d’irriguer en gouttes fines les pensées et les âmes.

 

Maladrerie

Henriette. Photo B. Pallen

Maladrerie

Tu es allongée en Sphynx devant moi et me fixes ;
face à face deux immobilités, nos pensées,
ploiements partagés sous le poids de nos existences
dont tu dois dans ta résonance le pressentir.

Nos regards sont pendus longtemps à celui de l’autre
pour un mutisme de toujours intense acuité,
quand bientôt une tienne soudaine lassitude
me remet à ma place de chargé des sorties.

On ne reste pas longtemps libéré de sa tâche
quand, petite reine, vers tes rêves tu t’endors,
l’extinction de chacun de tes sens, radars ou phares
me semble parfois, c’est vrai, durer un temps trop long.

Te voir plutôt une chienne-chat cela m’arrive,
avec tes yeux souvent mi-clos, restés en éveil,
tes façons lentes d’approcher ton mal de caresses,
venir te blottir sur mes genoux malgré ton poids.

Là, nous reprenons nos silences d’inséparables
comme si nulle foudre ne pouvait nous toucher ;
sans doute aussi à la lisière entre les espèces
tu goûtes, experte, nos minutes de douceur.

 

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